23 janvier 2025
Conséquences indemnitaires de l’abandon d’un projet sélectionné dans le cadre d’un appel à projets
Par un jugement en date du 16 janvier 2025, le TA de Cergy-Pontoise reconnaît la responsabilité de l’Etat et le condamne à indemniser un groupement lauréat d’un appel à projets pour les préjudices subis du fait de l’abandon du projet sélectionné.
En 2017, un groupement avait été désigné dans le cadre de l’appel à projets « Inventons la Métropole du Grand Paris », organisé notamment par l’Etat, pour réhabiliter un monument historique à Clichy-la-Garenne. En 2019, le ministre de la culture a annoncé par voie de presse que l’Etat n’autoriserait pas la réalisation du projet en l’état, ce qui a été confirmé par la suite.
Le groupement lauréat a alors exercé un recours en responsabilité à l’encontre de l’Etat et solidairement de la commune de Clichy-la-Garenne.
Statuant sur cette demande, le Tribunal énonce tout d’abord, dans un considérant de principe, que : « si une personne publique a toujours la faculté de renoncer pour un motif d'intérêt général à ce qu'elle a promis, sa responsabilité peut être engagée si son comportement a légitimement conduit le destinataire de la promesse à prendre des décisions qu'il n'aurait pas prises sans elle »[1].
Il tempère ce principe en conditionnant l’engagement de responsabilité à l’existence d’une promesse suffisamment ferme et précise pour engager celui qui l’a reçue à effectuer des prestations. De son côté, le destinataire de la promesse doit faire preuve de prudence et ne peut être indemnisé des risques qu’il a pris en tenant pour acquis ce qui ne l’était pas.
Après avoir écarté la responsabilité de la commune de Clichy-la-Garenne, le Tribunal :
- considère d’une part que l’Etat a commis une faute en abandonnant le projet deux ans après l’appel à projets et en incitant, par son comportement, le lauréat à prendre des décisions en vue de la réalisation de son projet. Il souligne à cet égard que les réticences internes des services de l’Etat afférentes aux contraintes architecturales du projet (existantes dès la désignation du lauréat) n’avaient pas été portées à la connaissance du groupement. Par ailleurs, le TA écarte le motif d’intérêt général invoqué par l’Etat pour justifier l’abandon du projet et tiré des choix architecturaux retenus.
- précise d’autre part que les préjudices à indemniser correspondent aux frais compris entre la proclamation du lauréat de l’appel à projets en 2017 et l’abandon du projet annoncé, puis confirmé, en 2019. Ils comprennent en outre les frais ayant un lien de causalité direct et certain avec le projet (e. engagés pour constituer une société ad hoc et supportés par elle pour le projet ; salaires des dirigeants, cadres et salariés vainement mobilisés sur le projet).
Il retient toutefois que le groupement – professionnel de l’immobilier – a commis une imprudence en engageant des dépenses avant même d’avoir obtenu ou demandé une autorisation de travaux, et ce, alors même que le projet (portant sur un bâtiment classé et présentant un intérêt historique et architectural) était soumis à de nombreuses contraintes réglementaires.
Il considère que cette imprudence est de nature à exonérer partiellement l'État de sa responsabilité, à hauteur de 50% des dommages subis.
Bien que fort intéressante en matière de responsabilité administrative, cette solution doit être envisagée avec précaution tant que le délai d’appel n’est pas expiré.
TA Cergy-Pontoise 16 janvier 2025, n° 2105690 [le jugement est téléchargeable ci-dessous].
[1] Voir, par analogie, en matière de responsabilité d'une personne publique en cas de rupture abusive des négociations : « si la rupture unilatérale, par la personne publique, pour un motif d'intérêt général, des négociations préalables à la passation d'un contrat n'est pas de nature à engager sa responsabilité pour faute, cette responsabilité peut, toutefois, être mise en cause lorsque la personne publique, au cours des négociations, a incité son partenaire à engager des dépenses en lui donnant, à tort, l'assurance qu'un tel contrat serait signé, sous réserve que ce dernier n'ait pu légitimement ignorer le risque auquel il s'exposait » (CE 9 décembre 2016, Société Foncière Europe, n° 391840).