Les règlements approuvés sur le fondement de l’article L. 631-7 du code de la construction et de l’habitation (CCH) par Bordeaux Métropole d’une part, et la Métropole Nice Côte d’Azur d’autre part, fixant les conditions de délivrance des autorisations de changement d’usage de locaux d’habitation et déterminant les compensations, ont été soumis à l’appréciation du juge administratif.
Pour mémoire, selon la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) – saisie de questions préjudicielles par la Cour de cassation à l’occasion de litiges opposant la Ville de Paris à des loueurs de meublés de tourisme -, « il revient au juge administratif de contrôler si cette réglementation est, d’une part, justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général tenant à la lutte contre la pénurie de logements destinés à la location et, d’autre part, proportionnée à l’objectif poursuivi, en ce que celui-ci ne peut pas être réalisé par une mesure moins contraignante, notamment parce qu’un contrôle a posteriori interviendrait trop tardivement pour avoir une efficacité réelle. Par ailleurs, si la réglementation nationale instaure une obligation de compensation, sous la forme d’une transformation accessoire et concomitante en habitation de locaux ayant un autre usage, celle-ci doit être justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général, proportionnelle à cet objectif, non discriminatoire, instituée dans des termes clairs, non ambigus et rendus publics à l’avance, et cette obligation devra pouvoir être satisfaite dans des conditions transparentes et accessibles » (CJUE 22 septembre 2020, n° C-724/18 et C-727/18).
Dans ce cadre, la CAA de Bordeaux et le TA de Nice ont considéré que les délibérations en cause n’étaient pas entachées d’une erreur manifeste d’appréciation.
S’agissant tout d’abord du règlement municipal de Bordeaux, la Cour confirme sa validité au motif que :
- la lutte contre la pénurie de logements destinés à la location poursuit un objectif d’intérêt général, en particulier dans les zones tendues ; la Cour relève à cet égard que le programme d’orientations et d’actions du PLU en matière d’habitat évoque la nécessité de « maintenir la population résidente» dans le cœur historique, en détaillant les objectifs de mixité sociale poursuivis ;
- la limitation au droit de propriété des propriétaires de résidences principales et secondaires à Bordeaux est justifiée par le nombre élevé et croissant des offres de location de courte durée (6.000 logements proposés à la location pour le seul site Airbnb), ainsi que l’estimation de 20.000 demandes de logements non satisfaites ;
- l’atteinte au droit de propriété est proportionnée à l’objectif poursuivi ;
- le mécanisme de compensation institué à Bordeaux, « s’il est de nature à rendre plus difficile la location de courte durée dans le cœur historique de Bordeaux», « contribue à maintenir le caractère résidentiel du centre-ville, davantage sollicité pour la location de courte durée » ;
- Bordeaux Métropole n’a pas méconnu le principe d’égalité, notamment en mettant en œuvre le dispositif prévu par l’article L. 631-7 du CCH sur le seul territoire de la commune de Bordeaux.
S’agissant ensuite du règlement municipal niçois, la délibération contestée avait notamment pour objet d’étendre le champ d’application de la compensation : au-delà de 6 années de locations touristiques meublées, ou à partir du 2ème logement dédié au meublé touristique, l’autorisation de changement d’usage est subordonnée à compensation.
Le TA de Nice relève que :
- depuis 2014, le nombre de demandes pour des locations de meublés touristiques a augmenté de manière exponentielle ;
- le nombre annuel d’autorisations de changement d’usage délivrées dépasse celui des logements locatifs sociaux financés dans la commune de Nice ;
- ce type de location diminue considérablement le nombre de logements locatifs privés pour les actifs niçois ;
- entre 2014 et 2020, la part de résidences principales des logements à Nice a baissé, lorsque celle des résidences secondaires et des logements occasionnels a augmenté.
Partant, le juge considère que, faute pour l’association requérante d’établir que cette modification du règlement ne serait pas justifiée ou serait disproportionnée à l’objectif d’intérêt général consistant à favoriser la disponibilité de locations de longue durée, la délibération n’est pas entachée d’une erreur manifeste d’appréciation.
Toutefois, elle est partiellement annulée en ce qu’elle prévoit que « les propriétaires au moment du dépôt de leur demande devront prouver que le changement d’usage est autorisé dans leur copropriété », en joignant à leur dossier « l’extrait du règlement de copropriété attestant que celui-ci ne s’oppose pas au changement d’usage, à défaut […] l’accord de la copropriété ».
En effet, ces dispositions conduisent « à soumettre discrétionnairement cette autorisation à l’accord préalable de l’assemblée générale des copropriétaires d’un immeuble et ce alors même que les statuts de la copropriété ne le prévoiraient pas, notamment dans le cas où le règlement serait muet quant à la question de la location touristique meublée ou en l’absence de règlement de copropriété », permettant ainsi à l’AG des copropriétaires de « porter une atteinte disproportionnée aux droits de chacun des copropriétaires » (le TA reprenant ainsi les termes de la décision du Conseil constitutionnel qui avait censuré le dispositif de la loi ALUR subordonnant à l’accord de l’AG des copropriétaires « toute demande d’autorisation de changement d’usage d’un local destiné à l’habitation faisant partie de la copropriété par un copropriétaire aux fins de le louer pour de courtes durées à une clientèle de passage »[1]).
Soulignons que la réglementation du changement d’usage des locaux d’habitation fait actuellement l’objet d’une proposition de loi visant à remédier aux déséquilibres du marché locatif, adoptée par l’Assemblée nationale le 29 janvier 2024 et transmise au Sénat.
CAA Bordeaux 30 janvier 2024, n° 21BX04629
TA Nice 31 janvier 2014, n° 2104077
Dossier législatif sur le site du Sénat, relatif à la proposition de loi visant à remédier aux déséquilibres du marché locatif
[1] Conseil constitutionnel, décision n° 2014-691 DC du 20 mars 2014.